ekosystem n’est peut être pas le site sur lequel on s’attend à lire l’interview de quelqu’un comme Snake, digne représentant d’un graffiti français influencé par le graffiti New-Yorkais originel tant pas le style que dans la démarche.
On connaît tous plus ou moins les 1er pas du graffiti dans les grosses métropoles européennes, les débuts dans les régions sont moins connus. Aussi il m’a semblé qu’il pouvait être intéressant de discuter avec lui de ses débuts il y a maintenant pas loin de 20 ans dans une ville moyenne de province. Je pense que certains de sa génération ont connu des expériences similaires, et les plus jeunes découvriront peut être des choses sur une époque où il était moins aisé de rentrer dans le graffiti que ces dernières années ou le parcours est plus balisé. Enfin de façon plus personnelle j’avais envie de discuter avec lui d’une période où nous étions proches, car il a été un des 1er graffeur que j’ai connu hors de ma propre ville.
Snake : Tout d’abord je ne me sens pas représentant du Graffiti Américain, tant par le style que par ma philosophie.
Certes graphiquement parlant je ne suis pas dans un délire à l’Espagnole, mais je me sens plus près de l’école Européenne notamment Allemande et Hollandaise, que celle des États Unis.
Quand on parle avec les pionniers européens du graffiti le déclic a souvent été un film comme Wild Style ou un bouquin comme Subway Art. Comment as-tu découvert le graffiti ? Y’avait déjà des gens qui taguaient avant toi dans ta ville ?
Snake : Comment ? A vrai dire j’avais vu un Graff au milieu des années 80 de la Force Alpha. Je ne sais plus qui c’était déjà ? Rico je crois …ça m’avait fait flasher ! Les traits, l’éclat de lumière bien placé il y avait déjà une certaine technique et du style.
Après j’étais tombé sur quelques Graffs à droite et à gauche, des mags, des reportages, c’est ça qui m’a poussé à trouver des bombes pour m’essayer. Mais c’était la culture Hip Hop avec la danse qui m’avait séduit, c’était un tout, et le coté Graphique du Graffiti était la discipline dans laquelle je me sentais le plus à l’aise tout simplement.
Perso je ne connaissais personne qui taggait vraiment, à part dans des villes des voisines, puis petits a petits les personnalités se sont rassemblées.
Tu as de suite fait des grafs ou comme ça se faisait à l’époque tu es resté dans un premier temps un « simple » tagueur ?
Snake : Je ne serais pas original, mais il était naturel et impossible avec le recul, de ne pas passer par le Tag. Rappelle toi ! Il y a 20 ans en province va trouver des magazines, du matériel, ou du Graffiti dans la rue ! Plutôt compliqué…
De plus pas de shop et toute cette économie, forcément tu vas taper tes bombes, t’as pas d’argent, donc tu essayes de faire un stock comme ça, comme beaucoup d’autres a cette époque.
Alors les fresques c’étaient déjà difficile a mettre en place de part ce facteur matériel, alors forcément le tag était plus facile d’accès, et puis on était un peu des chiens fous, il fallait aller chercher des sensations, des limites, des tests humains en quelques sorte.
Ca ma permis d’avoir un rapport brut sans concession avec la bombe ça passe ou ça casse, apprendre a maîtriser le jet dans ces conditions est autre chose que dans un terrain tranquille, Bref le tag était parfait pour tout ces critères !
Quelles sont selon toi les principales différences entre débuter à cette époque et maintenant ?
Snake : Les différences ? Je te les ai plus ou moins cités.
Toute l’économie qu’il y a autour de cette culture : le street wear pour commencer, ou avant tu faisais des pièces uniques a la main, aujourd’hui ce sont des vrais marques dans le milieux du textile qui gravite autour des cultures urbaines, avec des vrais campagnes publicitaires etc…je connais bien le sujet pour avoir travaillé avec Soone quelques années sur Bullrot Wear.
Après il y a évidemment tous les médias : magazines, vidéos en tout genres sur DVD , maison d’éditions pour ce qui est des bouquins, la bombes en elle même a beaucoup changée, les gammes se sont élargies avec leurs particularités propres à chacune.
Là ou j’ai étais surpris c’est sur les « spectro », de développer des bombes a moitié transparentes, l’équivalence de l’acrylique diluée a l’eau, était pour moi révélateur qu’un palier important avait été franchi dans le matériel aérosol.
Et puis bien sur il y a les Graffiti shops qui regroupent tous ces produits pour tous les jeunes consommateurs de Graffiti.
Forcément ça change la donne de commencer le Graffiti dans ces conditions, c’est presque trop pour débuter. Par exemple je serais curieux de voir des jeunes qui font du Graffiti qui sortent des beaux arts, s’essayer avec du matériel aérosol comme des : Julien décor, Altona, Dupli color, etc…
Tout cela à créé des emplois, du business pour des gens, et tant que cela tombe dans les poches des protagonistes de cet art, tout va bien, mais ce n’est pas toujours le cas, on commence à le voir avec le marché de l’art contemporain, mais ça c’est un autre débat.
Sans faire le vieux nostalgique, avant le fait que c’était difficile d’accès en matos, en inspiration, en support, cela faisait déjà le tri parmi les prétendants au titre de « writers », aujourd’hui mamie nova peut faire soit disant du graff, voilà ce que ça a changé au bout du compte. Une démocratisation qui n’apporte pas que du bon pour l’image du Graffiti.
Au milieu des années 90 les panels s’enchaînent et ça se termine finalement par 3 mois d’emprisonnement. Quel a était ton état d’esprit après cette expérience, quel impact cela a-t-il eu sur tes activités ?
Snake : Ce que ça a changé ?
Tout simplement que ce qui ne te tue pas te rend plus fort ! Et c’est vraiment ce qui m’est arrivé après une introspection personnelle vis a vis de cette expérience.
C’est dans les moments difficiles, les épreuves, les échecs que tu vois de quoi tu es capable, j’ai vu pour moi ce que j’étais capable de faire dans cette situation et comment il fallait comprendre plutôt que subir.
J’ai réfléchis, analysé, pesé le pour et le contre, et j’ai choisis, et aujourd’hui je suis encore là plus fort qu’avant dans ma peinture. Je pense que je ne me suis pas trompé dans mon choix.
Tu as toujours à la fois fait du « vandale » mais aussi des pièces plus travaillées en terrain sur lesquelles tu passes beaucoup de temps. Généralement tout le monde a une préférence entre l’action et les plans plus posés. Difficile de dire ce que tu préfères.
Snake : A vrai dire je ne préfère rien ! Pourquoi devrais-je choisir ?? Je ne suis jamais, mais alors jamais rentré dans les débats: « qui est vandale ou Artiste ? Vrai ou faux Graffiti ? Trains ou murs ? »
Et je n’estime pas faire du « Vandale ».
Je n’emploie pas ce terme pour définir ma peinture dans la rue que ce soit une pièce ou un simple tag, je pratique de l’illégal, mais ce n’est pas forcément du vandalisme. Pour moi ça n’a rien à voir. Donne moi un cutter et je te produirais du vandalisme dans un wagon par exemple.
Et puis je ne voulais pas perdre de temps dans ces débats qui n’amène a rien, moi je voulais tout ! Je voulais être partout, je voulais me sentir vivre, expérimenter des choses différentes, resté ouvert et rencontrer des gens dans ce milieu, multiplier les actions.
L’action me plaisait énormément et c’est toujours le cas aujourd’hui je te rassure.
Mais j’avais aussi besoin d’un terrain de jeux plus complexe et plus technique ou je pouvais vraiment pousser les choses en terme de créa et de style, les terrains étaient un autre espace de jeux parfait pour assouvir mes besoins d’expressions et de technique. Mais je ne pouvais fonctionner qu’avec toutes ces facettes du Graffiti et pas juste l’une d’entre elles.
Il est vrai que j’ai un faible pour les grosses pièces simples (block letter, whole car) et paradoxalement des choses plus complexes en couleur sur mur.
Tu n’as jamais cessé de vouloir placer ton nom. Encore aujourd’hui il t’arrive de faire des gros blocs Snake. Pourtant on pourrait penser qu’après toutes ces années cela ne soit plus ta priorité. Qu’est-ce qui te motive encore à placer ton nom de la façon la plus visible ?
A vrai dire je ne sais pas ce qui est ma priorité aujourd’hui.
J’ai des axes différents dans mon évolution artistique.
J’essaye de maintenir un équilibre entre la base de ce que je fais avec un certain sens des traditions, et en même temps, j‘essaye de partir dans des axes plus différents notamment sur toiles, mais c’est un travail long et personnel, un travail d’introspection afin de savoir ce que l’on a envie de proposer.
Faire des allers-retours entre ta base et ton évolution, sont pour moi nécessaire afin de me retrouver et de trouver un équilibre entre ces deux axes. C’est pour ça que je garde ce rapport avec la rue dès que je peux, même si j’ai moins de temps pour ça, je garde le contact comme je peux.
Et puis quel plaisir unique que de faire un chrome, un tag un flop ou un panel juste pour l’acte en lui même. Je peins donc je suis !
Le graffiti c’est fait de rencontres. Parmi les personnes marquantes dans ton parcours est-ce que tu pourrais nous raconter comment tu as rencontré Aliz/TVA avec qui par la suite tu as beaucoup peint.
Snake : 1996 je rencontre un membre de ma famille que je ne connaissais pas du tout dans le cadre d’un nouvel an.
Lui était de Paris moi du sud-ouest. Il s’est tout simplement avéré sur place que nous pratiquions la même activité sans qu’aucun de nous deux sache ce que l’autre faisait ! Étonnant non le hasard parfois ?? Forcément la connexion était faite, à cela a engendré plusieurs collaborations entre le Nord et le Sud.
Il a pu ainsi profiter de nombreux spots bien de chez nous à une époque où l’ont pouvait vraiment faire mal dans un dépôt !
Je t’ai entendu récemment dire que tu ne voudrais pas que le graffiti en France devienne comme le Rap français actuel. Qu’est ce que tu voulais dire ?
Snake : Ben c’est très simple quand je vois des clips de rap à la Française, que j’écoute des morceaux à la radio, mon premier réflexe c’est de zapper !
Ça m’attriste quelque part, car j’écoute du son Hip-Hop depuis autant de temps que je peins, et j’aurais vraiment aimé que les choses tournent autrement que dans une pauvre caricature des américains avec moins de budget en plus.
Il y en a quelques uns qui sortent leurs épingles du jeu, mais dans l’ensemble l’image, le son, les textes, les messages, des rappeurs Français sont clichés, stéréotypés, voir tristement crétins. Et je serais navré de voir ma discipline artistique suivre ce chemin! C’est pour ça que je reste prudent dans mes collaborations professionnelles ou autres afin de maîtriser à ton niveau ton mouvement culturel et tes choix artistiques.
Sur ekosystem, on essaie de montrer un graffiti qui s’éloigne des lettrages des précurseurs américains. Est-ce que y a des travaux ou des gens que tu apprécies parmi cette scène ?
Snake : Je ne suis pas trop « post art Graffiti » mais il est vrai qu’il y a des démarches intéressantes dans ces partis pris, mais aussi pas mal d’escrocs qui font 2 ou 3 traits avec un vieux collage ou pochoir et après qui se revendiquent artiste de rue.
Je ne suis pas de très près ces artistes, mais j’aime bien le concept vidéo & les peintures de Blu, qui demande pas mal de préparation et de travail. Je suis aussi assez impressionné par les tagueurs de Sao Paulo du Brésil les « pixaçaos » de telles prises de risque pour poser de simples symboles runiques calligraphiques, je crois que c’est là que tout ce définie dans le geste et la base de la culture Graffiti, et il ne faut pas oublier cette dimension brutale et basique qui est la fondation même de ce mouvement graphique urbain.
Comment tu t’imagines dans 10 ans ?
10 ans ? C’est loin et c’est demain à la fois.
Je ne sais pas, et ce n’est pas un grand souci pour moi, car je vis pour ici et maintenant.
Après pour répondre à ta question je ne sais pas, peut être a faire toujours pareil, mais en poussant toujours les choses plus loin, plus grand, plus gros, plus travaillé, plus de message, plus d’engagement, avec plus de réflexion, c’est vers cela que je me dirige dans mon évolution, faire mieux qu’avant !
Un dernier mot ?
Snake : Aime la vie, elle te le rendra tôt ou tard…
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